Le syndrome de la belle-mère
« Bonjour vasaha ». Le vasaha c’est l’étranger et c’est comme ça que je suis salué dans la rue. Il y a rarement de l’agressivité dans ce salut, plutôt de l’envie ou de la gentillesse. Le plus souvent c’est le prélude à une demande d’argent. On s’y fait.
Mais ici, être étranger ça colle à la peau. Au sens strict bien sûr d’abord. Impossible de passer inaperçu, je suis visible comme le nez au milieu de la figure, où que j’aille. Je rêve parfois de me noyer dans la masse, peine perdue.
Il n’y a pas que la couleur, il y a aussi la langue qui me distingue immédiatement. Il m’arrive d’avoir peur d’utiliser les quelques mots que je connais pour éviter de recevoir en réponse un flot de paroles que je ne comprendrai pas. Je préfère la jouer sournois et montrer que je comprends parfois ce qui se dit autour de moi ou répondre en malgache que je ne sais pas parler malgache. Ça fait toujours son effet.
Et puis il y a tout le reste : la culture, les habitudes diverses, l’argent, la nourriture, ce sentiment de supériorité qu’il est difficile de dépasser avec des gens qui n’ont confiance ni en eux ni dans leur pays.
Je ne veux pas dire que je suis isolé ou rejeté, même si j’ai failli un temps être renvoyé. Je suis plutôt bien entouré, soutenu, apprécié sans doute, avec même des amis je crois. Il m’arrive d’avoir des échanges francs, ce qui n’est pas courant ici où chacun se méfie de tout le monde. Des gens se laissent aller à parler devant moi. Il y en a qui se confient, des jeunes et des adultes, je sens même une nuance d’affection chez certains qui m’appellent : « mon père ».
Je ne rêve pas : rien n’est jamais gagné et la distance peut se reprendre vite. Une parole malheureuse, (et comment les éviter absolument ?) et la méfiance n’est pas loin. Une attitude dominatrice et on me rappelle la colonisation. Un jugement hâtif et en voilà qui s’éloignent.
Difficile de rester à sa place d’étranger !
Surtout qu’ils ont tort. J’ai un tas de choses à leur apprendre. Moi qui suis d’un pays développé j’ai plein de conseils à leur prodiguer sur la manière de gérer une économie domestique ou autre. Moi qui habite un pays véritablement démocratique j’ai des solutions pour lutter contre la corruption et les injustices sociales. Moi qui n’ai pas de défauts de ce côté, je peux les guider dans leur vie affective, dans leur recherche d’un équilibre alimentaire ou alcoolique. Moi qui ne perds jamais de temps, je peux leur expliquer comment s’organiser pour être aussi rigoureux que moi dans les études ou la vie de prière. J’en oublie sans doute, tant j’ai de qualités.
C’est là que j’ai pensé à la belle mère. Quand elle va voir sa fille, elle en sait beaucoup plus qu’elle sur la manière de vivre une vie de couple, d’élever les enfants, de tenir les comptes, de faire le marché, d’avoir une alimentation équilibrée. Pourquoi elle n’est pas écoutée alors qu’elle met tout son amour dans les conseils qu’elle donne ? C’est au bien de son gendre qu’elle pense et elle ne veut surtout pas s’immiscer dans la vie du couple. Elle dit ce qu’elle pense uniquement pour rendre service et pour qu’ils profitent de sa longue expérience.
Difficile de rester à sa place !
Surtout que j’ai raison !
On ne peut pas laisser quelqu’un se noyer sans lui tendre la main !
Comment faire confiance alors que les problèmes sont aussi manifestes et que des solutions à portée de main sont négligées ?
Si je les aide, ils vont s’en sortir plus vite !
Ici ils ne sont pas contrariants. En général ils vous laissent faire tout ce que vous voulez, quitte, une fois que vous êtes partis, à continuer comme avant. Ils profitent de ce que vous avez à leur donner, éventuellement ils vous diront merci. Quoi qu’il arrive, ils iront à leur rythme, même quand ils cherchent à vous imiter. Ils écouteront vos conseils avec le sourire et vous diront «oui » avec conviction. Ils penseront même que vous avez raison.
Je déteste dire « ils » en parlant des Malgaches, comme s’ils étaient tous pareils. C’est du racisme. Mais je le fais tout le temps, je généralise. Je suis une vraie belle-mère !
Vous ne trouverez pas ici d’étrangers optimistes, ou très peu, je parle de ceux qui sont là depuis des années. Ils restent parce qu’ils aiment profondément les Malgaches, ce que ne comprennent pas les étrangers de passage. Par contre, ils n’ont plus d’illusions quand ils ne sont pas désespérés, désespérés comme tant de Malgaches. Ils se contentent pour beaucoup de sauvetages, d’assistanat, il y en a même qui font de l’argent. Mais il y en a encore qui ne baissent pas les bras, ils s’obstinent à dénoncer, proposer, éduquer, accompagner ; ils s’emportent, s’aigrissent, s’obstinent ; ils ont un atelier de broderie, une plantation, font du micro-crédit. Ils continuent parce qu’ils croient qu’il faut, que c’est le seul chemin possible, à condition de le parcourir avec autant d’humilité que nous en sommes capables et sans attendre de résultats tangibles. C’est ça l’amour non ?
Les Malgaches nous rappellent avec une patience obstinée que nous ne sommes pas chez nous et qu’ils nous accueillent comme des visiteurs. Ce n’est pas au visiteur à faire la loi, cette fonction revient de droit à celui qui est du pays. Si ce dernier se trompe, c’est lui qui en subira les conséquences. Le visiteur repartira et même s’il meurt sur place il ne restera que la trace de son passage, amicale souhaitons le, efficace peut-être. Nous sommes de passage.
Dur dur d’être une belle-mère !

Cherchez la belle-mère… !
19 December 2005 à 13:51
On est toujours la belle-mère de quelqu’un…Mais on sait aussi qu’une mère laisse parfois ses enfants se brûler les ailes pur qu’ils comprennent la vie et qu’ils en sortent plus fort. C’est toujours difficile de trouver la juste mesure. “Si jeunesse savait et si veillesse pouvait”!!