Culture
Les Malgaches sont fiers de ce qu’ils sont, sûrs parfois de leur supériorité ou de leur caractère unique. Ils se sentent, en même temps, agressés, fragiles, en position d’infériorité, devant les vagues qui les bousculent et risquent de les submerger. Ils se crispent devant les relents de colonisation, tout en reconnaissant leurs faiblesses. Ils sont séduits par la modernité et la mondialisation, mais regrettent de voir que leur culture est mise en danger. Ils sentent bien que leurs traditions, leurs tabous, les superstitions magiques, les hiérarchies qui les emprisonnent, les solidarités familiales qui bloquent les initiatives personnelles, l’émiettement de leurs ethnies… que tout cela freine leurs élans. Mais ils ne voudraient pas perdre leur âme, ne pas jeter par-dessus bord les éléments de culture qui font leur différence.
Par contre, bien des jeunes ne veulent plus être malgaches. Ils cherchent à ressembler à la jeunesse qu’ils voient vivre à travers les journaux, les magazines, la télé. J’ai quand même posé la question à des élèves de lycée : « à quoi tenez-vous encore dans la culture malgache ? » Il y a eu un long silence, mais ils ont fini par se mettre d’accord sur le famadihana, ce que l’on appelle souvent le retournement des morts ou exhumation.
Le choix est plutôt réconfortant, si on dépasse l’aspect folklorique de la célébration. C’est un moment important dans la vie d’une famille, représentatif de la culture malgache. Certains ne le font plus, mais la plupart s’endettent lourdement et vendent leurs avoirs pour l’honneur d’inviter largement la famille et les proches pour une fête de plusieurs jours. Il s’agit de resserrer les liens familiaux tous les 5 ou 7 ans, comme un peu ce qui se passe chez nous au moment des mariages. On retrouve des parents et on refait l’expérience du vivre ensemble, on vérifie la solidité de ce qui nous unit malgré les distances et les aléas de l’existence.
C’est la fête, la musique, la danse, l’alcool, la nourriture à profusion, des discours qui donnent le sens de la rencontre. Mais c’est surtout la proximité qui, au-delà des paroles échangées, fait ressentir, quasi physiquement, l’unité et la vie qui circule entre les personnes présentes. Cette union, souvent affirmée comme un slogan que l’on répète pour se convaincre, devient alors une réalité ressentie, une expérience vitale. L’alcool aidant, la fête finit souvent par des bagarres, comme partout, mais les jeunes sont sensibles à ce qui s’y passe et y restent attachés.
L’autre aspect de la célébration tient au fait qu’elle se passe autour du tombeau familial dont les occupants sont extraits. Ils sont appelés, on les promène un peu, les chouchoute, on change leurs linceuls… Ces pratiques montrent que la vie qui unit les participants vient des ancêtres, que ces derniers ne sont pas totalement morts. Ils sont là constamment, vivant avec les vivants. Ils les aident et les soutiennent à condition qu’on s’occupe un peu d’eux. Le fil n’est pas rompu et la vie continue, par leur intermédiaire, à passer depuis Dieu jusqu’à ceux qui poursuivent l’existence qui leur a été ôtée en partie. Cette expérience où se mêlent la joie et les larmes, vécue par certains au quotidien, devient, lors de la fête, une évidence sensible pour tous, au son des flûtes, des violons et des tambours, dans la poussière de la danse.
L’union de la famille, vivants et morts ensemble, la vie qui continue à circuler depuis Dieu, en passant par la terre et jusqu’au nouveau-né, l’essentiel de la culture malgache est là.
Mais la fête ne dure qu’un temps et l’identité malgache est difficile à trouver en dehors. Il y a d’excellents livres qui en parlent, mais on se demande en les lisant s’ils ne parlent pas d’un Madagascar disparu ou en train de disparaître. Qu’est-ce qui reste effectivement et peut passer l’épreuve de cette mondialisation qui détruit sur son passage les cultures particulières ou les cantonne dans des musées ?
Des étudiants, tout en revendiquant leur identité, avouent que j’en connais plus qu’eux parce que j’ai lu des livres. C’est vrai qu’ils devraient se renseigner, mais il faudrait surtout qu’ils revisitent leur culture de l’intérieur pour lui redonner vie et ils sont les seuls à pouvoir le faire. Il ne s’agit pas d’un travail d’ethnologue, de philosophe, de sociologue ou de conservateur.
La plupart connaissent quelques proverbes. Mais je souris quand j’entends : « comme le dit la sagesse malgache : l’union fait la force. » Certaines citations sont plus exotiques comme celle qui dit qu’il faut, comme le caméléon, avoir un œil qui regarde vers l’avant et l’autre vers l’arrière. Mais comme partout, la majorité des proverbes est d’une désolante banalité et ils se contredisent régulièrement, ce qui est parfois bien pratique.
La sagesse malgache n’est pas dans ses proverbes, mais dans les sages qui les interprètent, après les avoir médités. J’ai été surpris à plusieurs reprises par les commentaires de l’évêque d’Antsirabe sur l’un ou l’autre. Les truismes prenaient sens, transfigurés par l’expérience et par la méditation de la tradition. Beaucoup d’anciens en sont encore capables et en donnent la preuve dans leurs discours. Mais les séminaristes s’en servent comme illustration ou comme un appui simpliste pour étayer leurs élucubrations. La sagesse ça se travaille !
Il y a aussi des mythes, des contes et des légendes qui ne manquent pas d’intérêt, mais là aussi il faut apprendre à les connaître, sans les considérer comme des histoires pour enfants. Il n’est pas évident de les prendre au sérieux pour y voir l’expression de la vie d’un peuple, de ses espoirs, de ses peurs et des valeurs qui dirigent son histoire.
Il faut sauver la culture malgache. Oui mais qu’est-ce qu’il faut en garder ? Et comment ?
Est-ce même bien utile ? Après tout on arrive à vivre sans Merlin l’enchanteur et sans les traditions des druides. C’est sympa aussi les musées et les livres qui nous parlent des civilisations perdues !
Est-ce que l’espérance chrétienne pourrait donner une deuxième vie à ces traditions païennes en les transfigurant ? Après tout le 25 décembre était, à l’origine, la fête du soleil renaissant et Pâques la fête du début des moissons. Ce serait bien, on appelle ça l’inculturation, mais ça se travaille !
Je n’affirme pas, je cherche.