Marie-Paule et Jean-Hervé
Marie-Paule et Jean-Hervé sont à Madagascar depuis janvier 90. Elle était auparavant animatrice socio culturelle et lui préparait un DEA économie sociologie. Ils ont fait deux ans de coopération au Pérou pour le développement agricole, mais il y avait le « sentier lumineux » ! J’ai fait parler Marie-Paule parce que leur couple me semble représentatif d’une forme d’engagement dans un pays pauvre.
"J’ai retrouvé mon boulot au retour du Pérou et Jean-Hervé a fini sa thèse. On lui a proposé un poste à Madagascar à FERT : Fondation (aujourd’hui Formation) pour l’Épanouissement et le Renouveau de la Terre, créée à l’abbaye de Hautecombe, autour des céréaliers de France. Au départ il s’agissait de répondre aux demandes des paysans et de les aider à s’organiser. Très vite ils ont demandé à accéder au crédit. La première caisse a vu le jour en août 90 sur le modèle mutualiste du Crédit agricole. Les paysans y ont vu leur intérêt et l’ensemble s’est développé très rapidement. Le but était qu’ils montent leur système eux-mêmes pour se financer. Aujourd’hui ils gèrent leur réseau, un des plus gros d’Afrique. On est arrivés au but.
FERT voulant laisser la main à des équipes malgaches, Jean-Hervé a dû partir dans d’autres régions, fonder de nouvelles structures de micro crédit.
Notre volonté constante, déjà au moment du service national, était de comprendre et d’aider des pays du sud. Nous avions commencé au CCFD et à « Vie Nouvelle », un mouvement monté par d’anciens scouts sur la philosophie d’Emmanuel Mounier. On y trouvait des gens de classes supérieures et quelques ouvriers. Le mouvement fonctionnait par fraternités avec une bonne écoute. Les expériences des autres m’ont toujours aidée. J’ai compris que l’inter génération était intéressant, avec des adultes en recherche. Ils n’étaient pas figés et ils nous ont aidé à nous construire.
Nos textes de mariage évoquaient déjà les relations entre les hommes et entre les peuples. Ils étaient très idéalistes, mais je ne les renie pas : sans idéal tu crèves.
À Madagascar depuis 15 ans, nous sommes toujours prêts à partir ou à rester selon la demande. Ici il ne faut pas attendre de reconnaissance, personne ne te dira que tu fais du bon boulot, il faut te le dire toi-même. On entend quand même parfois : « il n’y a que toi pour monter ce projet. »
Je suis restée dans ce pays, parce que Jean-Hervé fait un vrai travail de développement. Autrement, vasaha riche dans un pays pauvre, j’aurais mal accepté. Aujourd’hui j’assume ma condition de riche. Une vieille dame, genre colon, me disait : « à quoi ça sert de tout donner, demain il n’y aura plus rien. L’essentiel, c’est de construire quelque chose qui leur servira ». Ce travail permet aux gens de se développer, le réseau tient la route.
Le plus dur c’est d’assumer le choix d’être assez riche. Pauvres on n’aurait pas fait de gamins, je veux leur assurer un avenir. Je ne ferais pas les mêmes choix si j’étais seule. Quand ils seront grands, je changerai peut-être. Choisir d’être pauvre ne changera pas la face du monde. Mieux vaut assumer et en faire quelque chose. De plus, en tant que Français on a la sécu et le chômage si on rentre. Il ne faut pas faire semblant.
Grâce au salaire de Jean-Hervé, il nous a été possible de prêter du fric à des gens pour les aider à monter des projets, à créer de la richesse. Je trouve normal qu’il soit bien payé vu le travail qu’il fait. Les ONG devraient même mieux payer et ne pas embaucher des rigolos qui prétendent tout changer en deux ans. Il faut de vraies compétences et des hommes capables de les adapter au contexte pour que le travail soit reprenable par les gens du pays. Certains se cachent derrière leur fonction ou leurs structures. On manque de gens courageux.
La foi est mêlée à tout ça, depuis Vie Nouvelle en particulier, elle fait partie d’un tout. J’étais plus en recherche que Jean-Hervé. Sans la foi, on n’aurait pas tenu le coup, pas fait les choses de la même manière. La foi de Jean-Hervé ne peut pas être dissociée de ce qu’il est. C’est pour ça qu’il est intègre et exigeant ; il ne se donne pas le droit d’être incompétent parce qu’il est exigeant. C’est sa foi. Il a accepté d’avaler beaucoup de couleuvres parce qu’il avait la foi.
De mon côté, Madagascar m’a réconciliée avec le fait de me positionner comme chrétienne. Un vasaha à la messe est vu positivement et le côté œcuménique m’a ouvert des perspectives. Déjà Vie Nouvelle mêlait catholiques et protestants, mais il n’y avait pas de débats sur le sujet. Notre vie était déjà en germe dans ce mouvement chrétien et pas catho.
J’ai commencé à m’investir. J’avais du mal à me solidariser avec l’Eglise. J’ai revu une de mes amies qui était, comme moi, assez réticente et j’ai eu la surprise de la voir avec des responsabilités. Elle m’a dit : c’est ton mari qui m’a fait changer en disant : « C’est facile de critiquer l’Eglise, mais parce que tu es chrétienne tu en fais partie ». Il le lui avait dit 4 ans avant et, à mon tour, ça m’a fait réfléchir ! De plus, quand j’ai vu comment le caté était fait, je me suis dit : « tu dois t’y mettre ou en sortir tes enfants ». Pour y arriver j’ai dû cogiter et chercher. Je ne suis pas sûre d’être une bonne catholique, mais ma foi est sincère.
Je m’efforce de rester à l’écoute de ce qui se passe autour de moi. J’ai été mise devant des responsabilités qui ont exigé de moi d’aller plus loin et de mieux construire mon discours pour qu’il soit crédible. Je ne cherche pas à m’occuper. Avec Martine, une amie protestante, on a mis un an avant de se lancer dans l’aumônerie pour les grands. Mais on a senti que c’était un besoin.
Je suis « dame catéchiste ». Ça vaut mieux que rien du tout. J’avance vachement, ça m’oblige, à partir de documents, à monter des projets pour faire avancer les autres et moi en même temps. Je suis moi aussi en recherche, mais pas du genre à travailler des bouquins sans but. Certains ont des connaissances théologiques meilleures que les miennes, mais c’est souvent trop dogmatique, ce n’est pas réapproprié. L’Église catholique a trop de dogmes qui cachent l’essentiel. Il faut aller à l’essentiel. Quand tu acceptes que les autres soient différents, tu peux parler. C’est ce qu’on fait dans notre groupe œcuménique.
Ma mère a une confiance extraordinaire en Dieu, elle prend la vie du bon côté. Elle ne demande rien, elle prie c’est tout. J’aurais l’impression de la trahir si je devenais protestante. Je suis de culture catholique, mais je me sens chrétienne. Elle fait confiance et elle laisse une vraie liberté aux autres. Je crois qu’elle est contente et qu’elle aime Jean-Hervé parce qu’il m’a mis sur le « droit chemin » !
Ici on rencontre plein de gens que tu ne rencontrerais pas en France et c’est une sacrée richesse. Plus tu rencontres de gens différents et plus tu t’enrichis, tu t’affirmes et tu es sûre de tes choix.
La vie est plus riche ici."