Je n’ai pas besoin de Dieu
Bien sûr, comme tout le monde, j’ai des manques et des besoins, plein de désirs insatisfaits. Je ne suis pas toujours heureux et il m’arrive de manquer d’affection ou de reconnaissance. Je me pose des questions sur mon avenir et je ne comprends pas tout dans les folies qui agitent le monde ou qui se bousculent dans ma tête. Mais je n’ai pas envie d’en appeler à Dieu. Je me sens assez grand pour gérer ces problèmes à ma façon, en général pas seul, l’aide de mon entourage m’est complètement indispensable et il y a des grands courants dans l’humanité où je me sens en solidarité de réflexion et d’action.
J’ai fait des coupes sombres dans mes désirs et je crois que j’ai appris à avancer tranquillement dans la vie, sans souffrir exagérément de ce qui est hors de ma portée. Des objectifs comme la richesse ne me font même plus envie, je me trouve déjà à l’aise, surtout quand je suis ici ! Quant à des responsabilités qui me donneraient une respectabilité supérieure, j’essaye même de m’en tenir soigneusement à l’écart. Ce doit être l’âge !
Comme j’en laisse, ce que j’obtiens me suffit et je ne vois pas ce que je pourrais avoir de plus par la prière, pour moi et pour ceux qui me sont proches.
Je trouve d’ailleurs bizarre qu’on fasse des demandes à Dieu, comme s’il était sourd ou réticent à donner. Je pense à ce que nous disait Peyo, du temps où il était professeur au petit séminaire, et qu’il avait un secret à nous cacher : « j’ai plus envie de vous le dire que vous de le savoir ». C’est pareil avec Dieu : il a plus envie de nous donner son amour que nous de le recevoir. Il attend qu’on vienne et on ne vient pas. Il veut nous donner et on ferme la porte.
Je ne comprends la prière de demande que si elle sert à ouvrir en nous l’envie de recevoir. Je veux bien demander la sainteté, mais je n’ai qu’une envie modérée de l’obtenir. J’aspire à la perfection sans un enthousiasme particulier. Je pourrais sans doute devenir bien meilleur si je le voulais, si j’arrêtais de perdre mon temps et si je me concentrais sur l’essentiel. Le problème ce n’est pas Dieu mais moi. Je suis le seul qui doive changer, lui est toujours prêt. Sans doute qu’en demandant avec insistance je finis par augmenter mes envies, à moins que j’obtienne la grâce d’avoir envie…
Quant à demander la santé ou le beau temps…
Je n’éprouve pas le besoin d’un Dieu magicien qui boucherait les trous de mon existence ou de ma compréhension. Je préfère m’assumer en homme, avec mes manques, en solidarité avec mes frères.
Nous avons eu ce débat ici. Le Dieu des Malgaches, Zanahary, ne parle pas. Inutile d’espérer une réponse en s’adressant à lui directement. Il faut passer par les intermédiaires que sont la longue lignée des ancêtres. Eux seuls portent les requêtes au sommet. Les prières traditionnelles ne sont que demandes. Il vaut mieux d’ailleurs en faire beaucoup pour avoir un peu de résultats et donner largement en échange de ce qu’on veut obtenir. C’est du donnant-donnant.
On a là une des difficultés importantes qui a ralenti l’implantation du christianisme : dans ce pays chacun a ses ancêtres propres et il est inutile de vouloir passer par les ancêtres des autres. Les ancêtres ne s’occupent que de leurs descendants ! Jésus c’est l’ancêtre des étrangers. Il est efficace pour ces derniers comme médiateur. Par contre il ne vaut rien pour les Malgaches qui ont mieux avec leurs ancêtres.
Mais est-ce bien la question ? Jésus est-il vraiment venu sur terre pour faire monter jusqu’au Père les revendications de tous les hommes ? Peut-on appuyer une évangélisation sur le fait que Jésus serait plus performant que les ancêtres pour nous obtenir satisfaction ? Il me semble que si je n’ai aucune demande à faire monter jusqu’à Dieu, le Père et le Fils (et sans doute aussi l’Esprit), nos positions réciproques s’éclairent d’un jour nouveau.
François Benolo le suggère dans sa contribution aux Mélanges offerts à Bruno Hübsch(1) : « Prier ce n’est pas seulement demander pour avoir quelque chose, fût-ce de l’ordre de la grâce. Prier, c’est avant tout se mettre devant Dieu avec tout ce qu’on est, même avec ses péchés les plus odieux, pour reconnaître sa sainteté et son amour : et pourquoi pas avec tous les siens, même les non chrétiens, ancêtres et encore vivants sur terre ? »
Moi j’ai envie de prier comme ça. Prier Dieu parce qu’il m’aime, pour l’en remercier, parce qu’il me donne la vie et que sans lui je ne peux pas exister. J’ai beaucoup à lui raconter et rien à lui demander de plus : il me donne déjà d’être là. À moi de me débrouiller avec ce que j’ai.
J’ai envie de me mettre devant lui pour lui dire merci, dire aussi que je ne suis pas bien d’accord avec sa manière de faire le monde. Je trouve qu’il y aurait des choses à redire, mais c’est fait, c’est fait. Dans cette pratique, je me sens bien, en lien avec les autres, vivants et morts, je crois que ça s’appelle la communion des saints dans le jargon théologique. L’idée est bonne.
Quand je suis avec quelqu’un que j’aime, je n’ai rien à lui demander, je veux juste profiter de sa présence et de son amour. Je suis bien parce qu’il est là et que sa présence me fait vivre.
Tout amour est créateur, l’amour c’est la vie. L’amour de Dieu est quand même spécial.
Je ne me sens pas bien en immortel. Je ne crois pas que quelque chose de moi survive à la mort. L’âme, l’esprit, je ne vois pas comment ils pourraient résister. Je n’ai rien à sauver de l’éternelle flamme. Je n’ai même pas peur ! Enfin pas trop.
Mais si ce Dieu m’aime vraiment, je ne pense pas possible qu’il m’oublie uniquement parce que je meurs. S’il m’a fait vivre jusque-là, je veux croire qu’il ne me laissera pas disparaître et qu’il me délivrera au contraire de toutes les entraves qui m’empêchent de vivre aujourd’hui. Il l’a fait pour Jésus en le ressuscitant, alors pourquoi pas pour moi ?
(1) Édité par l’Université Catholique de Lyon, Profac et par l’Institut Catholique de Madagascar et le Centre Foi et Justice, Tome 1 p. 96